Eliott s'était longuement demandé ce qui avait poussé Charles à agir ainsi, à le repousser violemment, à l'éloigner de lui, à prononcer des mots aussi blessants à son encontre... Il s'était posé la question, inlassablement, jour après jour. Jusqu'à cette fameuse Nuit. Cette Nuit où tout avait changé. A vrai dire, même après cette Nuit, Eliott continua de se poser les mêmes questions, mais il les analysait d'un œil différent. Il ne le prenait plus contre lui. Charles n'avait sans doute pas voulu lui faire de mal, au contraire. Eliott tentait de se raisonner... Bien qu'il ne comprenne pas comment il avait pu en être ainsi, il avait fini par penser que Charles avait été au courant de ce qui se tramait. Oh, pas forcément tout, mais il avait au moins du en avoir une petite idée, vu ses agissements des mois précédant la fameuse Nuit. Avait-il eu connaissance de l'existence de ces Ombres ?
A chaque fois qu'il y repensait, Eliott était pris d'un dégoût profond et irrépressible. Il n'avait aucune idée de comment avaient été celles des autres mais la sienne avait été dégoûtante. C'était quoi ce masochisme pervers et possessif ? Eliott frissonnait de dégoût quand il se remémorait les événements... Dire qu'un tel individu -non !- une telle chose vivait sous ses pieds. Était-elle encore consciente de tout ce qu'il faisait ou, retournée à sa forme initiale, n'avait-elle plus une once de vie ? Eliott n'en savait rien et ça l'énervait parfois. A d'autres moments, car il lui arrivait d'avoir des moments de lucidité, il se disait que si Charles avait su pendant des mois qu'un monstre sanguinaire l'habitait, cela pouvait expliquer son manque d'appétit, bien que celui-ci ait continué de durer après cette Nuit. Charles craignait-il un retour des Ombres ?
Eliott n'avait jamais osé aborder la question avec Charles, se disant, que le jour venu, il lui en parlerait de lui même mais ce jour-là n'était jamais arrivé et ne semblait pas prêt de l'être. Alors Eliott restait dans ses incertitudes, ses suppositions et il faisait de son mieux pour réconforter son amant, pour le mettre à l'aise et le convaincre de se nourrir un peu. Mais ce n'était pas tous les jours faciles. Eliott découvrit alors que lorsqu'on aimait vraiment quelqu'un, on supportait bien plus facilement de faire des choses désagréables et pénibles et que, peu importe à quel point Charles pouvait l'agacer et l'énerver à certains moments, il ne restait jamais bien longtemps dans cet état d'esprit... Il finissait toujours par avoir envie de le cajoler, de le pouponner ou de le... Enfin bref, il aimait bien prendre soin de lui. Surtout que quelque part, savoir que sans lui, Charles aurait dépéri depuis quelques temps... c'était une preuve de dépendance. Charles était dépendant de lui, il avait besoin de lui. Qui n'aimerait pas se sentir dans une telle posture vis-à-vis de la personne qu'il aime et qu'il aimerait bien enfermer dans une boite ? Oui, parce que, quand Eliott voyait des personnes -peu importe leur sexe- attardaient leur regard sur Charles, il avait envie d'envoyer valdinguer ailleurs ces personnes et d'enfermer Charles dans une boite opaque pour que plus personne ne puisse poser un regard sur lui -et éviter ainsi la création de désir chez autrui. Et puis, cela aurait également l'avantage d'empêcher Charles de voir du monde et d'avoir lui aussi envie d'aller farfouiner ailleurs. Chose qu'Eliott aurait vraiment beaucoup de mal à supporter. Possessif sur les bords ? Non, carrément pas. Vraiment pas que sur les bords...

Bien que Charles rechigne toujours à manger correctement, Eliott fut soulagé de constater qu'avec le temps qui se réchauffait -mais surtout le temps qui passait-, Charles dormait beaucoup mieux et semblait beaucoup plus reposé. Pour avoir parcouru les locaux pendant ses pauses, le cuisinier était même déjà tombé sur la petite cour dans laquelle il avait surpris Charles, prélassé dans l'herbe. Sans se faire remarquer, il l'avait observé en silence de longues minutes avant de retourner à ses occupations, l'esprit tranquille.
Eliott, ne voulant pas mettre Charles dans une situation inconfortable, ne laissait jamais un élan d'affection lui échapper dans les lieux à passages ou en présence d'autres personnes. Il savait que Charles tentait de maintenir secrète leur relation, pourtant Eliott pensait sincèrement que de bons nombres de personnes avaient deviné. En même temps, ce n'était pas bien compliqué : deux hommes vivant et dormant dans un même "appartement" qui d'ailleurs ne possède qu'un lit... Cependant, il était agréable de voir que ce monde semblait bien plus tolérant que le leur. Les rumeurs et les ragots n'allaient pas bon train, ou en tout cas pas sur eux. Respecter la vie privée de chacun est un grande qualité, surtout pour un peuple entier.
Charles ne voulait pas qu'on les voit trop proches ensemble mais il ne semblait pas pour autant ne pas vouloir passer du temps avec lui en dehors de leur chambre  -pourtant, cela n'aurait pas dérangé Eliott. C'est ainsi qu'un soir, Charles lui annonça qu'il voulait partir en voyage, et surement aller à la mer. Un voyage à deux, évidemment. Eliott fut surpris, ils n'avaient jamais vraiment voyagé ensemble, ou en tout cas, pas pour le plaisir. Et puis, après avoir du regarder Charles partir mission après mission (bien que depuis cette Nuit, Aurélie ne l'avait plus envoyé en voyage -ce qui n'était pas plus mal), penser partir avec lui... Oh, mais ne vous y trompez pas ! L'idée faisait très plaisir à Eliott qui accepta sans demander son reste. Ce dernier fut également surpris de la facilité avec laquelle Aurélie leur accorda leurs jours de congés, mais il n'allait certainement pas râler... Ensuite, Charles eut la mauvaise idée de demander à son amant s'il préférait aller à la mer ou au Blue Lake, après tout, Eliott s'en fichait éperdument tant qu'ils étaient ensemble. Mais le brun ne semblait pas comprendre cette vision puisque face à son indifférence, il se fâcha avant de choisir le lac. Eliott ne sut pas comment réagir face à la petite colère de Charles et se contenta de la laisser passer, faisant de temps en temps des compliments sur le lieu où ils allaient aller : "Oh ! Ca a vraiment l'air bien, il parait que l'eau est translucide !" "Et puis l'eau douce, c'est bien plus agréable pour se baigner, tu ne trouves pas ?" Histoire de le convaincre qu'il n'avait pas fait le mauvais choix. Il ne manquerait plus que Charles doute de lui et hésite à changer de destination...

Le jour venu, les deux amants commencèrent leur escapade. Il faut dire que le Blue Lake, ce n'était pas la porte à côté, il fallait même traverser tout le Royaume de Nivis ! Ils marchèrent beaucoup, mais il réussirent également -heureusement pour leurs pieds !- à sympathiser avec des paysans qui les transportèrent un peu en charrette.
Une fois arrivés, Eliott resta scotché devant le panorama. C'était magnifique ! L'eau du lac était encore plus belle et ensorcelante que ce qu'on avait pu lui décrire. Et à l'horizon, entourant le lac avec harmonie, s'élevaient de majestueuses montagnes verdoyantes. Dans l'eau se reflétait avec beauté le soleil, le ciel, et les quelques nuages qui le parsemaient. Rien de mieux qu'un tel paysage pour se ressourcer le corps et l'esprit, Charles avait fait un très bon choix ! De plus, la chance leur souriait et le soleil, présent, ne semblait pas vouloir prendre des vacances.
Ils s'installèrent dans la petite cabane où ils allaient loger quelques temps. Eliott fut surpris de voir Charles détaler, sans même l'attendre. Une fois qu'il eut finir de tout installer, le gris partit à sa suite et le trouva accroupi au rebord de l'eau. Eliott fut tenté de le pousser à l'eau mais il préféra éviter toute dispute, ce serait vraiment nul de gâcher un moment aussi agréable. Eliott enleva ses chaussures, remonta son pantalon et s'assit à côté de Charles, au bord de l'eau, y trempant les pieds.

"Cet endroit est superbe. Je pense qu'on va passer de très bons moments ici !"

Il tourna la tête vers Charles, décrochant ses yeux du paysage somptueux dans l'espoir d'en croiser un encore plus magnifique et envoûtant : les sublimes améthystes que Charles possédait à la place des yeux. Le tout souligné d'un sourire bienheureux, Eliott laissa pratiquement s'échapper les mots :

"Je peux t'embrasser ?"

Il posait rarement la question. Très rarement. Voire jamais...